Traduction de l’article « Le déficit structurel des méga-événements »

29 juin 2023

Article original

Le déficit structurel des Jeux Olympiques et de la Coupe du monde : comparaison des coûts et des recettes

Résumé

Les Jeux Olympiques et les Coupes du Monde de Football font partie des projets les plus chers du monde. Tandis que des explications théoriques existantes suggèrent que les recettes des méga-événements sont surestimées et leurs coûts sous-estimés, il n’existe aucune étude empirique exhaustive sur la question des coûts qui surpassent les recettes. Basé sur une base de données construite sur mesure à partir de sources publiques, cet article compare les recettes et les coûts des Jeux Olympiques et des Coupes du monde de 1964 à 2018 (N=43), totalisant ensemble près de 70 milliards de dollars (USD) en recettes et plus de 120 milliards en coûts. Il révèle que les coûts surpassent les recettes dans la plupart des cas : plus de quatre de ces événements sur cinq ont subi un déficit. En moyenne, le retour sur investissement d’un événement a été négatif (-38%), avec un coût moyen de 2,8 milliards de dollars (USD) surpassant une recette moyenne de 1,7 milliards de dollars (USD) par événement. Les Jeux Olympiques d’été de Montréal en 1976, les Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 et la Coupe du Monde du Japon/Corée du Sud ont enregistré les plus grands déficits absolus. Les Jeux d’été de 1984 à Los Angeles, les Jeux d’hiver de 2010 à Vancouver et la Coupe du monde de 2018 en Russie font partie des rares événements qui ont réalisé un excédent. L’article conclut que les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de Football souffrent d’un déficit structurel et qu’ils ne pourraient pas exister sans subventions externes. Cette conclusion incite vivement à la ré-évaluation de ces événements en tant qu’entreprises risquées déficitaires sans durabilité financière.

Introduction

Cet article répond à une question apparemment simple : Les méga-événements sont-ils rentables ? En d’autres mots, leurs revenus financiers sont-ils plus élevés que leurs coûts ? La réponse à cette question est compliquée, principalement parce que les recettes et les coûts reviennent à différentes organisations, ces dernières n’étant, de plus, pas vraiment transparentes ni cohérentes concernant ces chiffres. Les Jeux Olympiques et les Coupes du Monde de Football sont-ils rentables pour le Comité International Olympique (CIO) et la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), qui possèdent les droits de ces événements ? Oui, absolument. Sont-ils rentables pour les comités d’organisation qui doivent les mettre en place ? Des fois, mais pas souvent. Pour les villes hôtes et les gouvernements ? Quasiment jamais.

Les coûts élevés des méga-événements sont bien établis (voir Baade and Matheson, 2016; Flyvbjerg et al., 2021; Zimbalist, 2015) tout comme le sont leurs effets problématiques pour les villes hôtes (voir Boykoff, 2014; Müller, 2015b). Nous ne savons pas, en revanche, si les recettes globales peuvent surpasser les coûts. Les partisans des Jeux Olympiques maintiennent que les coûts peuvent être élevés mais que les recettes le sont encore plus (voir Serhan, 2021). Si le contraire était vrai, toutefois, cela voudrait dire que ces événements essuient un déficit structurel et sont dans l’incapacité de couvrir leurs propres dépenses, même si la répartition des recettes était moins orientée vers le CIO et la FIFA qu’elle ne l’est actuellement. Des études théoriques, fondées sur la théorie de l’agence, le théorie des enchères et l’économie comportementale, suggèrent la présence d’une sous-estimation systématique des coûts et d’une promesse trop ambitieuse des bénéfices.

La question du profit et du déficit des méga-événements est cruciale pour les habitants et les décideurs alors que l’accueil des méga-événements devient de plus en plus contesté. Les partisans continuent de faire l’éloge du potentiel de transformation de ces événements en tant que catalyseurs du développement urbain et local et tentent de mettre en valeur les « meilleurs exemples » d’accueil à travers le monde (voir Lauermann, 2014; Trubina, 2019; Silvestre, 2020; Temenos and McCann, 2012 pour des analyses critiques). Parallèlement, un nombre croissant de villes et de pays rencontrent des oppositions de plus en plus nombreuses contre l’accueil de ces événements, conduisant à des référendums aux résultats défavorables et à l’abandon des candidatures (Boykoff and Gaffney, 2020; Kassens-Noor, 2019; Lauermann and Vogelpohl, 2019).

Cet article cherche à établir la rentabilité (ou non) des méga-événements en présentant, à l’échelle de chaque événement, une comparaison des recettes financières et des coûts majeurs des Jeux Olympiques d’été et d’hiver et des Coupes du Monde de Football des années 1960 aux années 2010. En procédant ainsi, cela améliore les études existantes qui avaient tendance à se focaliser sur un ou deux événements, ( Baade and Matheson, 2016; Essex and Chalkley, 2004 à propos des Jeux Olympiques ; Fett 2020 à propos de la Coupe du Monde), sur une organisation (comité d’organisation, FIFA/CIO, gouvernement), sur les coûts ou les recettes (voir Flyvbjerg et al., 2021 sur les coûts), ou sur une assez courte période (voir Graeff and Knijnik, 2021 pour la période de 2006 à 2022). Une comparaison méthodique et longitudinale est importante, car cela permet d’identifier des schémas entre les événements et dans le temps à plus grande échelle, et cela évite de généraliser à partir d’un échantillon comportant un seul, ou très peu d’événements. Cela permet aussi de faire la différence entre les trois types d’événements, pour déterminer celui qui est potentiellement le plus, ou le moins rentable.

En prenant trois des plus gros méga-événements – les Jeux Olympiques d’été, les Jeux Olympiques d’hiver et la Coupe du Monde Masculine de Football – cet article analyse les données longitudinales des trois flux principaux de recettes (diffusion médiatique, sponsoring, et billetterie) et des deux postes de dépenses principaux (organisation et équipements sportifs), recouvrant les 43 éditions de ces événements entre 1964 et 2018, avec un total de plus de 120 milliards de dollars USD de dépenses et plus de 70 milliards de recettes (ce qui représente à peu près sept fois le budget de fonctionnement annuel de la ville de Los Angeles, pour fournir une échelle de grandeur (City of Los Angeles, 2021)). L’article examine la recette unitaire et le coût unitaire de ces événements en reliant les recettes et les dépenses au nombre d’athlètes et d’entrées de ces événements. Enfin, l’article place ces 43 événements dans une matrice, en fonction de leurs coûts et de leurs retours sur investissement, en les distinguant en fonction de leur coût global et de leur rentabilité relative.

Analyse documentaire

Cela vaut-il le coût ? » Cette question contrarie les élus, les habitants et les spécialistes confrontés aux méga-événements. Compte-tenu des coûts énormes associés à ces événements, dépassant de nos jours les 10 milliards de dollars USD, cette question relève de la plus grande pertinence, en particulier au regard de la part de financements publics injectés dans de nombreux méga-événements. La dimension économique des méga-événements fait l’objet d’études menées principalement de deux façons. Premièrement, la documentation sur les impacts économiques examine jusqu’à quel point les dépenses relatives aux méga-événements ont eu un effet sur l’économie d’une région ou d’un pays. Ces impacts sont habituellement représentés au travers de l’évolution du PIB, des revenus, de l’emploi, du montant des impôts et autres indicateurs économiques. Cette documentation est vaste et variée et le consensus général qui en émerge est que les études ex-ante tendent à surestimer les impacts et que les impacts économiques habituellement faibles (voire négatifs) ne justifient pas les investissements connectés aux méga-événements (voir Baade and Matheson, 2016; Coates and Humphreys, 2008; Porter and Fletcher, 2008; Zimbalist, 2015; voir Scandizzo and Pierleoni, 2018 pour une étude complète).

Le second corpus de recherche examine les recettes et dépenses des méga-événements. Celles-ci se référent aux entrées et sorties qui figurent dans le bilan d’une structure impliquée dans l’organisation de ces événements, tel qu’illustré sur le schéma 1. Cette structure peut être le CIO ou la FIFA, le comité d’organisation ou les différents départements de la ville hôte, de la région ou du pays. On peut faire la différence entre les recettes et les dépenses directes, qui peuvent être directement liées à la tenue de l’événement lui-même, tels que les équipements de fonctionnement, et les recettes et dépenses indirectes, qui concernent la tenue de l’événement sans pour autant être indispensables à cette dernière (Flyvbjerg, Budzier et al., 2021). Les dépenses indirectes sont généralement celles qui sont relatives aux infrastructures générales, tels que le transport, l’hébergement, et d’autres, qui peuvent ou pas avoir été occasionnés par l’événement et dont l’utilité n’est pas essentiellement limitée à l’événement lui-même. Ainsi, le projet d’extension d’un aéroport dans le cadre de l’accueil de la Coupe du Monde peut avoir été initié par la Coupe du Monde, mais il peut être utile à la région longtemps après la tenue de l’événement.


Schéma 1. Flux des coûts et recettes pour les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde. Les flux mentionnés dans cet article sont en gras.

Le schéma 1 montre la distribution de ces flux pour les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde. Il devient tout de suite évident que la Coupe du Monde est beaucoup plus centralisée, avec toutes les recettes convergeant vers la FIFA et presque tous les coûts opérationnels portés par la FIFA, soit directement ou via un transfert aux comités d’organisation, qui couvrent généralement l’ensemble des coûts opérationnels (Zimbalist, 2015: 34). Les Jeux Olympiques, par contre, ont des recettes qui convergent vers le CIO et les comités d’organisation, tandis que les coûts sont supportés par les comités d’organisation et le gouvernement hôte. Les différents niveaux du gouvernement hôte (ville, région, nation) n’ont aucune recette directe des Jeux Olympiques et de la Coupe du Monde mais supportent presque toutes les dépenses. La distribution des coûts et des recettes dans le schéma 1 confirme l’idée répandue que les coûts des méga-événements sont publics, tandis que le profit est privé (Boykoff, 2014).

Les études antérieures sur les coûts et les recettes des méga-événements sont florissantes, mais elles se focalisent souvent sur des cas uniques. Par contre, les études qui mettent en œuvre une approche longitudinale en comparant plusieurs types d’événements (Jeux d’été, Jeux d’hiver, Coupe du Monde, etc.) sont rares. Le tableau 1 liste les études qui comparent les recettes et les coûts d’au moins cinq événements. Parmi elles, seulement une étude (Graeff and Knijnik, 2021) compare les recettes et les coûts concernant les Jeux Olympiques et les Coupes du Monde, bien qu’elle porte sur un faible échantillon (cinq Coupes du Monde, trois Jeux d’été). Cette étude démontre que les coûts d’un événement dépassent invariablement ses recettes. Deux autre études (Baade and Matheson 2016; Matheson 2018) arrivent à la même conclusion pour les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde séparément, en se basant sur des échantillons un peu plus grands.

Tableau 1. Études sur les recettes et les coûts des Jeux Olympiques et de la Coupe du monde avec N > 5.

Plusieurs autres études figurant dans le tableau 1 portent sur une sélection des recettes et des coûts. Preuß et al. (2019) porte sur les budgets des comités d’organisation des Jeux d’été et d’hiver récents et conclut que les recettes couvrent les dépenses. Cependant, elle ne présente qu’une analyse restreinte des recettes et des coûts relatifs aux comités d’organisation. Flyvbjerg et al. (2021) est l’analyse la plus complète des coûts et de leurs dépassements, démontrant que les Jeux Olympiques subissent des dépassements de coûts, en moyenne plus importants que les autres méga-événements (mais voir Preuss, 2022). Concernant la Coupe du Monde, Fett’s (2020) est l’étude la plus complète, mais elle ne prend en compte que les droits de diffusion du côté des recettes.

Des études plus anciennes examinent également les recettes et les coûts, toutefois sans les comparer directement. Preuss (2004) est la plus détaillée d’entre elles, mais ne porte que sur les Jeux d’été. Au travers de l’analyse du budget des comités d’organisation, cette étude démontre que ces derniers ont tendance à enregistrer un excédent d’exploitation. Chappelet (2002) et Essex and Chalkley (2004) entreprennent un examen similaire des Jeux d’hiver, mais en se focalisant seulement sur les recettes liées à la diffusion (Essex et Chalkley), ou bien sur les recettes relatives à la diffusion et au sponsoring (Chappelet), en excluant la billetterie.

Ces études démontrent que les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde sont lucratifs pour les organisations qui les détiennent – le CIO et la FIFA. Les comités d’organisation réussissent généralement à équilibrer les comptes (Preuss, 2004; Preuß et al., 2019), mais peuvent avoir besoin de subventions complémentaires des gouvernements et des détenteurs des droits pour y arriver. Pour les villes et les régions, par contre, les méga-événements sont un jeu perdu d’avance dans la plupart des cas : « les Jeux Olympiques tels que menés actuellement ne sont économiquement pas viables pour la plupart des villes » (Baade and Matheson, 2016: 214).

Notre étude étend celles déjà existantes avec une comparaison complète des principaux coûts et recettes des Jeux Olympiques et des Coupes du Monde en analysant les données chronologiques des années 1960 aux années 2010. En procédant ainsi, cela permet d’établir si ces événements sont globalement excédentaires ou déficitaires, et de savoir si les résultats des recherches antérieures peuvent être généralisables. Cela permet également d’identifier les différences potentielles entre les Jeux d’été, les Jeux d’hiver et la Coupe du Monde et comment les pertes et profits évoluent dans le temps. Enfin, notre analyse permet de tester les hypothèses théoriques qui prédisent une surestimation des recettes et une sous-estimation des coûts conjointement systématiques concernant les méga-événements, tel que nous l’expliquons dans ce qui suit.

Examen théorique

Les études précédentes ont tenté d’avancer des explications théoriques pour mieux comprendre la dynamique des coûts et des recettes des Jeux Olympiques. Ces explications s’appuient sur différentes théories, principalement la théorie principal-agent, la théorie des enchères, et la théorie des biais cognitifs, qui sont devenues la pierre angulaire de l’économie comportementale. Comme n’importe quel autre projet complexe et onéreux avec de multiples parties prenantes, les méga-événements sont sujets au biais d’optimisme et à une « budgétisation intentionnellement fallacieuse » (strategic misrepresentation dans le texte original) . Le biais d’optimisme est un biais cognitif qui entraîne l’adhésion à des hypothèses irréalistes, exagérément optimistes concernant les projections de résultat (Lovallo and Kahneman, 2003). Dans ce cas, cela se traduit par un indicateur notoire de bénéfices et de recettes trop prometteurs, et à une sous-estimation des coûts et du délai d’exécution des méga-événements (Whitson and Horne, 2006). Les « budgétisations intentionnellement fallacieuses » sont une manipulation délibérée des prévisions des coûts et des recettes pour créer une vision plus avantageuse d’un projet, souvent, encore une fois, en minimisant les coûts et en exagérant les bénéfices (Flyvbjerg et al., 2003). Cela provient du fait de la situation principal-agent et de l’asymétrie de l’information, situation dans laquelle l’agent (par exemple la ville qui candidate à un méga-événement) a une meilleure connaissance des coûts réels d’un méga-événement que le principal (les contribuables), mais communique une estimation des coûts plus basse afin de rendre l’accueil de l’événement plus alléchant pour le public (Preuß et al., 2019).

Cette problématique courante est composée de plusieurs circonstances spécifiques aux méga-événements. Flyvbjerg et al. (2021) identifie des contraintes qui amènent toutes à l’augmentation des coûts. Déjà, la décision d’accueillir un méga-événement, une fois la candidature remportée, est irréversible. Il devient alors nécessaire d’aller jusqu’au bout, même quand des prévisions plus précises des recettes et des coûts, puisqu’elles ne deviennent souvent accessibles qu’après la candidature, laissent entrevoir des résultats plus négatifs. Ce qui contribue à l’escalade des coûts est l’impossibilité de modifier l’échéance du budget. Contrairement à la plupart des autres méga-projets, la date butoir pour terminer un méga-événement est fixée à la minute près, plusieurs années à l’avance. La seule manière de compenser les retards pris lors de la préparation est d’injecter plus d’argent dans les préparatifs. La garantie de déficit totale, qui est souvent requise pour les villes hôte, couvre ces dépenses sans condition, résultant en une incitation à encore plus de dépassement budgétaire. Enfin, les hôtes subissent le syndrome de l’éternel débutant, puisque la rotation des méga-événements dans le monde entier garantit que la plupart des gens qui mènent à bien l’événement dans le lieu concerné manquent d’expérience sur les spécificités et la complexité de ce projet.

De plus, Preuß et al. (2019) met en évidence plusieurs autres dynamiques qui amplifient les dépassements de coûts pour les Jeux Olympiques. Tandis qu’ils sont victimes d’une réaction en chaîne de la relation principal-agent qui amplifie les potentielles budgétisations fallacieuses des coûts et des recettes, la répartition inégale des coûts et des recettes entre le détenteurs des droits et les hôtes mène de surcroît à un aléa moral pour le CIO et la FIFA : du fait qu’ils définissent les conditions nécessaires à l’événement que l’hôte se doit de fournir, mais qui ne représentent qu’une petite partie (ou aucune) des coûts, il y a une propension à définir un panel excessif de prérequis, qui gonfle alors les coûts. Aussi, jusqu’à maintenant, la plupart des méga-événements sont attribués au travers d’un système d’enchères des candidatures, dont les gagnants subissent ce qui est connu sous le nom de la malédiction du vainqueur. Cette idée, développée à partir de la théorie des enchères, décrit une situation dans laquelle plusieurs parties surenchérissent pour un objet avec une valeur incertaine (dans ce cas les villes et les pays enchérissent pour gagner le droit d’accueillir les JO ou la Coupe du Monde). L’enchère la plus élevée viendra probablement de la ville ou du pays qui surestime le plus la véritable valeur du méga-événement, et par conséquent se retrouvera à payer plus qu’elle ne recevra de bénéfices.

Plan de recherche

Pour déterminer si les coûts des méga-événements dépassent systématiquement les recettes, et donc pour confirmer ou réfuter les hypothèses théoriques, notre plan de recherche contient les sources principales de coûts et de recettes. De plus, nous avons compilé un échantillon longitudinal afin d’être en capacité de tracer l’évolution des coûts et des recettes dans le temps. Enfin, nous avons inclus plusieurs types d’événements (Jeux d’été, d’hiver, Coupe du Monde) pour déterminer si il existe des différences entre les différents types.

Les sources des coûts et des recettes

Nous avons inclus trois types de recettes :

  • Les recettes des droits de diffusion
  • Les recettes (domestiques et internationales) du sponsoring
  • Les recettes de la billetterie

Les études antérieures ont déterminé que ces trois sources de revenus représentent plus de 90 % des recettes totales dans les éditions récentes des Jeux Olympiques et de la Coupe du Monde (Baade and Matheson, 2016: 206; Matheson, 2018: 23) et permettent donc d’établir une estimation fiable des recettes.

Afin de délimiter les coûts, nous avons suivi Flyvbjerg et al. (2021) en incluant les deux types de coûts suivant :

  • Les coûts de fonctionnement
  • Les coûts des complexes sportifs

Comme l’ont fait Flyvbjerg et al. (2021) et Preuß et al. (2019) , nous n’avons pas inclus les coûts indirects, tels que l’expansion des capacités d’hébergement, les nouveaux transports publics, les extensions d’aéroports, l’augmentation de l’approvisionnement en électricité, etc. Leur montant global dépasse souvent celui des coûts directs. Nous n’incluons pas ces coûts indirects dans notre panel, car la part des coûts induits est difficile à déterminer (Baade and Matheson, 2016), et il est difficile de juger jusqu’à quel point ces coûts apparaissent à cause de l’événement ou seraient de toutes façons survenus (cf. Kassens-Noor, 2012). Nous n’avons pas non plus inclus les coûts des villages olympiques, des centres médiatiques, etc., car ceux-ci ne sont pas directement nécessaires à l’événement. Généralement, ils se situent entre 0,1 et 1 milliard de dollars USD (voir Preuß et al., 2019 pour une comparaison complète). Les coûts relatifs à la candidature, également souvent négligés (de Nooij, 2014), sont aussi exclus de notre étude, car ils sont peu documentés et généralement peu élevés comparés aux autres coûts. Pour finir, nous n’avons pas non plus inclus les coûts en nature, tels que les détachements gouvernementaux et la sécurité (pour lesquels les critères comptables varient énormément) et les coûts de renoncement (qui sont spécifiques à chaque contexte et difficiles à quantifier). L’exclusion des coûts indirects et des coûts en nature rend notre estimation des coûts prudente, autrement dit, nous préférons sous-estimer les coûts et par conséquent surestimer la rentabilité potentielle.

Collecte des données et procédé

Les données ont été collectées à partir de sources en accès libre, dont les rapports officiels des comités d’organisation, le CIO, la FIFA et les gouvernements hôtes et parfois les rapports d’audit, les médias et les publications universitaires […] (see Müller et al., 2021 pour une description détaillée de notre approche). Huit données sur un total de 215, c’est à dire 3,7 %, sont manquantes. Pour effectuer une comparaison significative entre les nombreuses devises provenant d’époques différentes, nous avons d’abord converti les valeurs en dollars US (USD) en utilisant les valeurs des unités monétaires nationales de la Banque Mondiale, que nous avons ensuite appliquées à l’Indice des prix à la consommation de la Banque Mondiale pour correspondre à l’inflation basée sur l’année 2018 (voir Turner et al., 2019 pour la méthode adoptée; et Essex and Chalkley, 2004 pour une approche identique dans la comparaison entre les coûts des JO). Nous arrivons ainsi à USD2018 , qui nous permet de comparer les valeurs monétaires en termes réels, ajustés à l’inflation. Puisque le programme global de sponsoring du CIO ne décompose pas les recettes par Jeux Olympiques (seulement par période de quatre ans), nous avons appliqué une division de 2:1 entre les Jeux d’été et ceux d’hiver. Nous avons calculé un indice de volatilité pour les indicateurs en divisant l’écart-type par la moyenne (ce qui résulte par ce que l’on appelle le coefficient de variation). L’ensemble des données est disponible sur Harvard Dataverse (Müller et al., 2022).

Délimitation des échantillons

Nous avons choisi d’inclure les Jeux Olympiques d’été et d’hiver et les Coupes du Monde de Football dans notre échantillon, puisqu’ils figurent parmi les plus grands événements du monde (Müller, 2015a). La comparaison entre un événement portant sur un sport unique dans plusieurs lieux (la Coupe du Monde) et un événement portant sur plusieurs sports dans un lieu unique (les Jeux Olympiques) nous permet de voir les différences entre les types d’événements. Couvrant la période de 1964 à 2018, notre échantillon comporte 14 Jeux d’été, 15 Jeux d’hiver et 14 Coupes du Monde constituant un total de 43 événements. Notre échantillon démarre en 1964 pour deux raisons. Premièrement, le début des années 60 marque le début d’une forte croissance de la taille de ces événements, avec le développement de la transmission par satellite en direct et l’augmentation de l’impact des interventions urbaines liées à ces événements (Essex and Chalkley, 1998; Horne and Whannel, 2020). Deuxièmement, la disponibilité des données concernant nos sources de recettes et de coûts est limitée avant 1964, de fait, l’extension de la portée de notre étude avant cette date augmenterait significativement le nombre des données manquantes et rendrait notre analyse moins solide.

Limites

Notre plan de recherche présente certaines limites. Premièrement, bien que nous incluons les plus importants postes de coûts et de recettes, nous ne les couvrons pas tous. Nos calculs doivent de ce fait être appréhendés comme des estimations, basées sur les données disponibles. Deuxièmement, les investissements dans les complexes sportifs peuvent être amortis sur une plus longue période et on pourrait avancer l’argument que leur coût ne devrait pas être imputé uniquement à l’événement qui les a occasionnés. D’un autre côté, les stades construits pour les méga-événements constituent souvent des fardeaux financiers pour les hôtes après la tenue de l’événement (Alm et al., 2016), on pourrait alors avancer le contraire et affirmer que le véritable coût dépasse les coûts de construction. Troisièmement, nous considérons seulement les coûts directs et les recettes directes, conscients que les résultats pourraient être différents si on prenaient en compte les coûts indirects et les recettes indirectes. Quatrièmement et pour finir, accueillir un méga-événement peut être motivé par d’autres objectifs que ceux purement économiques, comme par exemple des objectifs politiques (Grix, 2013) ou de développement urbain (Lauermann, 2014; Trubina, 2019). Un examen économique tel que celui-là ne peut éclairer qu’une seule partie d’une analyse coût-recette plus complète.

Analyse

Recettes

Le schéma 2 montre l’évolution longitudinale des recettes et des coûts des Jeux d’été et d’hiver et de la Coupe du Monde de Football. Les Jeux d’été de Los Angeles en 1984 ont été les premiers à dépasser le seuil des 1 milliard de USD2018 en terme de recettes, puis Nagaro en 1998 pour les Jeux d’hiver, et finalement la Coupe du Monde du Japon/Corée du Sud en 2002. Le temps qu’il a fallu pour dépasser le seuil des 2 milliards de USD2018 a été beaucoup plus court : cela s’est produit en 12 ans pour les Jeux d’été (Atlanta 1996, qui, en fait, a même dépassé les 3 milliards de USD2018 ) et en 4 ans pour les Jeux d’hiver (Salt Lake city 2002), tandis que pour la Coupe du Monde, l’édition de 2002 a franchi le seuil des 1 milliard de USD2018 et celui des 2 milliards d’un seul coup en rapportant presque 2,3 milliards de USD2018 , en comparaison avec les 0,9 milliards de la précédente édition en France en 1998.

Schéma 2. Comparaison des coûts et des recettes des Jeux Olympiques et des Coupes du Monde de Football, 1964-2018. Notes : Les données suivantes sont absentes : Recettes de la billetterie de Mexico 1968; recettes du sponsoring de Mexico 1968, Innsbruck 1964 et 1976, Sapporo 1972 et Angleterre 1966; coût des complexes sportifs pour Mexico 1986). Pour Rio 2016 les coûts des complexes sportifs reposent sur les estimations les plus récentes, puisque le coût final n’a été publié que début 2022. Pour PyeongChang 2018 le sponsoring international a été estimé en fonction des éditions précédentes, puisque le CIO n’avait pas encore publié les chiffres début 2022. La valeur du dollars USD pour Sarajevo 1984 doit être considéré avec précaution, car le dinar Yougoslave a traversé une hyperinflation pendant la période de préparation des Jeux.

À la fin des années 2010, les recettes des Jeux d’été et des Coupes du Monde avaient quasiment la même taille et ont fluctué autour de 5 milliards USD2018 , tandis que celles des Jeux d’hiver ont vacillé autour des 3 milliards USD2018 . Il est intéressant de noter que les Coupes du Monde ont entrepris de rattraper les Jeux d’été dans les années 2010, les éditions du Brésil en 2014 et de la Russie en 2018 marquant une augmentation des recettes, due au sponsoring et à la diffusion, de 2,5 milliards USD2018 pour la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud jusqu’à approximativement 5 milliards USD2018 à la fin des années 2010.

Calculé à partir des trois dernières éditions de chaque événement pour atténuer les variations, les Jeux d’été sont légèrement en avance sur les Coupes du Monde en termes de recettes totales (5 milliards USD2018 de recettes contre les 4,2 milliards de la Coupe du Monde), tandis que les Jeux d’hiver arrivent à 2,9 milliards USD2018 (voir Tableau 2). Les recettes de diffusion représentent à peu près 50% des recettes totales pour chacun des trois événements (légèrement plus pour la Coupe du Monde), le sponsoring 30 à 35% et la billetterie entre 10 et 15%, comme le montre le Tableau 2. Alors que les recettes liées à la diffusion ont toujours constitué la part du lion, le poids du sponsoring a augmenté avec le temps, avec une augmentation significative dans les années 1990. Pour les JO de Pékin 2008 et Sotchi 2014, les recettes du sponsoring ont même dépassé légèrement celles de la diffusion (Schéma 2).

Tableau 2. Valeurs totales et moyennes de recettes, coûts, bénéfices/pertes et retours sur investissement pour les Jeux Olympiques d’été et d’hiver et les coupes du Monde de Football, 1964-2018 (toutes les valeurs monétaires exprimées en millions de dollars USD2018 ; l’indice de volatilité indique une augmentation de la volatilité en fonction de sa distance avec zéro).

L’indice de volatilité dans le tableau 2 révèle la volatilité des recettes la plus élevée pour la Coupe du Monde, pour beaucoup due à l’augmentation éclair des recettes de diffusion. Le sponsoring représente la source de recettes la plus volatile pour les JO, étant donné les différences importantes entre chaque ville hôte.

Coûts

Les coûts suivent également une tendance à la hausse. Les Jeux d’été de notre échantillon coûtent toujours plus de 1 milliard USD2018 depuis Munich en 1972, avec une exception pour Los Angeles en 1984. Le coût peu élevé de Los Angeles 1984 (juste en dessous de 0,5 milliard USD2018 ) est à noter, car il est encore plus bas que celui de Tokyo en 1964 vingt ans auparavant (0,6 milliards USD2018 ). Il est utile de savoir que Los Angeles était le seul candidat pour les JO de 1984 à cette époque, et qu’il a pu négocier à la baisse les prérequis des complexes sportifs pour les JO, aboutissant à l’utilisation significative des complexes sportifs existants (Burbank et al., 2001). Les JO les plus récents ont vu leurs coûts totaux (organisation et complexes sportifs) se situer entre 5 milliards USD2018 et 11 milliards (ce dernier – 11 milliards – représentant un record détenu par Londres 2012).

Le coût des Jeux d’hiver s’est élevé à plus d’1 milliard USD2018 avec les Jeux de Calgary 1998 et à plus de 2 milliards USD2018 avec Nagano 1998, à peine 10 ans plus tard. Depuis, il n’est jamais redescendu en dessous de ce seuil, et est, une fois, monté jusqu’à 15 milliards USD2018 pour les Jeux de Sotchi 2014. Tous les complexes sportifs à Sotchi ont été construits à partir de zéro et un niveau de corruption élevé a vraisemblablement aussi augmenté les coûts (Müller 2014).

Concernant la Coupe du Monde, Italie 1990 est un événement précocement onéreux à 2,1 milliards USD2018 , mais la Coupe suivante aux États-Unis en 1994 a rabaissé les coûts à 0,8 milliards grâce à une édition sans superflu semblable à celle de LA 1984. Le coût des Coupes du Monde a atteint le record de tous les temps avec l’édition du Japon/Corée du Sud avec 7,3 milliards USD2018 , et n’est jamais, depuis, retombé en dessous de 3 milliards USD2018.

Si on regarde les trois éditions les plus récentes de chaque événement (Tableau 2), les Jeux d’été et d’hiver ont des coûts presque similaires d’à peu près 7 milliards USD2018 chacun. Le coût monstrueux de Sotchi 2014 augmente la moyenne pour les Jeux d’hiver, qui se rapprocherait plus des 3,5 milliards USD2018 , si Sotchi n’était pas pris en compte. Le coût moyen des trois dernières Coupes du Monde s’est élevé à environ 5 milliards USD2018 , soit à peu près les deux tiers du coût des JO. Concernant l’échantillon dans son entier, les coûts d’organisation représentent environ 30% à 40 % du coût total, tandis que les coûts des complexes sportifs atteignent 60% à 70% du coût total.

L’indice de volatilité montre que les coûts des complexes sportifs sont bien plus volatiles que les coûts d’organisation pour les JO, tandis que la volatilité est à peu près égale pour les deux types de coût pour la Coupe du Monde. La volatilité très élevée des coûts des complexes sportifs des Jeux d’hiver est remarquable, même si on prend en compte le caractère extrême des Jeux de Sotchi 2014.

Les recettes et les coûts relatifs à la taille

Comme la taille des JO et de la Coupe du Monde a également augmenté avec le temps, nous étudions l’évolution des recettes et des coûts en fonction de deux indicateurs de taille : le nombre d’athlètes (Schéma 3(a)) et le nombre d’entrées (Schéma 3(b)). La pente positive dans les deux graphiques montre que les recettes et les coûts ont augmenté proportionnellement plus vite que la taille des événements, telle que mesurée par le nombre d’athlètes et d’entrées. Les coûts par athlète sont presque deux à trois fois plus élevés pour les Jeux d’hiver que pour les Jeux d’été, mais la même chose est vraie pour les recettes par athlète. La Coupe du Monde possède les coûts et les recettes les plus élevés par athlète, entre 6 et 8 millions USD2018 par athlète lors les événements les plus récents. Les JO sont bien moins chers, avec environ 0,5 million USD2018 de recettes et de coûts par athlète pour les Jeux d’hiver.

Schéma 3. (a) et (b) Recettes et coûts des JO et des Coupes du Monde en fonction de leur taille, 1964-2018 (a) par athlète (b) par entrée (toutes les valeurs sont en USD2018 ). Notes : voir Schéma 2.

Les recettes et les coûts par entrée ont aussi augmenté avec le temps. Ils sont les plus élevés pour les Jeux d’hiver, atteignant quelque 2000 à 3000 USD2018 de recette par entrée concernant les derniers Jeux d’hiver, avec des coûts par ticket se situant entre 2000 et 15000 USD2018 . Pour les Coupes du Monde, les recettes comme les coûts ont pointé jusqu’à 1500 USD2018 environ lors des événements les plus récents. Comparés aux Coupes du Monde et aux Jeux d’hiver, les Jeux d’été sont moins chers à accueillir, si on utilise le nombre d’entrées comme étalon. Les coûts par entrée fluctuent entre 800 et 1400 USD2018 pour les événements récents et atteignent un record absolu à Athènes 2004 avec juste un peu plus de 2000 USD2018 . Les recettes sont toutefois moins grandes, entre 600 et 800 USD2018 par entrée.

Ces schémas montrent que les Jeux d’hiver sont les plus chers à organiser relativement parlant, mais rapportent aussi les recettes les plus élevées. En revanche, si l’idée est d’attirer le plus de spectateurs possible (par exemple pour maximiser les dépenses touristiques) au coût relatif le plus faible, les villes hôtes devraient opter pour les Jeux d’été. Mais est-ce que les recettes couvrent les coûts dans la plupart de ces événements ? Autrement dit, ces événements sont-ils vraiment rentables ?

Surplus/déficit et retour sur investissement

La comparaison entre les coûts et les recettes dans le schéma 4 montre que la plus grande majorité des événements de notre échantillon ont enregistré un déficit. Les Jeux de Sotchi 2014 ont enregistré le plus grand déficit des 43 événements d’un montant de presque 12 milliards USD2018 . En laissant ce cas exceptionnel de côté, les déficits ont atteint presque 6 milliards USD2018 pour les Jeux d’été (Montréal 1976), pas loin de 3 milliards USD2018 pour les Jeux d’hiver (Turin 2006) et quasiment 5 milliards USD2018 pour la Coupe du Monde (Japon/Corée du Sud 2002).Les Jeux d’été ont des éditions avec des déficits de 2 milliards USD2018 et plus depuis les années 1970, tandis que des déficits aussi importants ne deviennent fréquents, avec les Jeux d’hiver et les coupes du Monde, qu’à partir des années 2000.

no jo 2034

Schéma 4. Surplus/déficit des Jeux Olympiques et des coupes du Monde, 1964-2018 (toutes les valeurs sont en USD2018 ). Notes : voir Schéma 2.

Il est possible, toutefois, que ces événements soient rentables. Los Angeles 1984, Atlanta 1996 et Sydney 2000 furent des Jeux d’été rentables , Vancouver 2010 furent des Jeux d’hiver rentables, et la Russie 2018 fut une Coupe du Monde rentable (le profit pour Sarajevo 1984 doit être considéré avec prudence, voir les notes du schéma 2). Les événements rentables de notre échantillon montrent une conjoncture de coûts plus bas que la moyenne et de recettes plus élevées que la moyenne; seulement une des ces deux conditions ne semble pas suffisante à elle seule pour la rentabilité. En général, cependant, tous les profits étaient significativement plus bas que les pertes dans les autres événements.

Le schéma 5 examine le déficit/surplus en fonction du coût total. Cette mesure – connue sous le nom de retour sur investissement (RSI) – est importante, puisque les faibles surplus absolus peuvent être relativement grands quand on les compare au coût total et inversement. Le carré des événements ‘Lean and Mean’ (en bonne santé) contient les événements rentables avec de faibles coûts. C’est là que l’on retrouve Los Angeles 1984 (avec un RSI record de presque 200%), Sarajevo 1984, Atlanta 1996 et Vancouver 2010. Il n’y a que très peu de ‘Cash Cows’ (Vaches à lait), autrement dit, des événements chers mais rentables : Sydney 2000 est le seul à figurer dans cette zone. Les Jeux Olympiques de Rio 2016 (les coûts des complexes sportifs sont provisoires) et la Coupe du Monde du Brésil 2014 et de la Russie 2018 se situent dans une ‘break-even zone’ (zone du seuil de rentabilité) qui couvre le couloir du RSI ± 10%.

Schéma 5. Les performances financières des Jeux Olympiques et des Coupes du Monde, 1964-2018 : retour sur investissement (surplus/déficit divisé par les coûts) positionné en fonction du coût total (toutes les valeurs sont en USD2018 ). Notes : voir Schéma 2.

Sous l’axe horizontal du schéma 5, nous retrouvons toutes les éditions de notre échantillon qui enregistrent un déficit. Jusqu’à la fin des années 1980, la plupart d’entre eux ont des coûts inférieurs à 3 milliards USD2018 , ce qui les place dans ce que nous qualifions de ‘Tiny tragedies’ (Petites tragédies). À partir des années 2000, ces événements deviennent des ‘Big Busts’ (Grands Fiascos), car les coûts ne cessent d’augmenter tandis que les RSI ne s’améliorent pas. Quelques événements parmi les plus chers ont des RSI très faibles (ex: Sotchi 2014 avec -79%, Japon/Corée du Sud 2022 avec -66%, Londres 2012 avec -47%), ce qui indique que les coûts élevés ne sont souvent pas compensés par des recettes élevées. En effet, pas un seul événement avec des coûts supérieurs à environ 5 milliards USD2018 n’enregistre de RSI positif. Dans l’ensemble, cependant, tel que le suggère le dessin formé par les points dans le nuage, il n’y a pas de corrélation significative entre les coûts et le RSI, puisque même les événements peu onéreux tels que Tokyo 1964 et Grenoble 1968 ont de mauvais retours sur investissement.

En étudiant la période entière de notre échantillon, les Jeux Olympiques, d’été comme d’hiver, ont subi une perte moyenne d’environ 1,5 milliards USD2018 , tandis que les coupes du Monde ont subi une perte moyenne de 1 milliard. Le RSI moyen de tous les événements de notre échantillon est par conséquent négatif pour les trois types d’événements : les Jeux d’été sont au pire mauvais avec un RSI moyen de -25%, suivis par les Jeux d’hiver (-37%) et la Coupe du Monde (-47%). Cependant, le RSI moyen des trois derniers événements de chaque type enregistre de bien meilleurs résultats : -9% pour les Jeux d’été, -31% pour les Jeux d’hiver et -18% pour la Coupe du Monde. On peut, alors, espérer avec prudence que le déficit structurel puisse décroître.

Conclusion

Les Jeux ne peuvent pas plus enregistrer de déficit qu’un homme peut tomber enceinte.

Jean Drapeau, Maire de Montréal, 1973, (CBC, 1999 )

Le trait d’esprit tristement célèbre de Jean Drapeau s’est révélé inexact pour les Jeux Olympiques de Montréal. Cet article est le premier à conduire une étude complète, sur le long terme, qui prouve qu’il avait tort concernant, pour le moins, la majorité des éditions des Jeux Olympiques et des Coupes du Monde : la plupart des méga-événements ne sont pas rentables. Sur les 36 événements pour lesquels nous avons des données solides, 31 événements, ou 86%, sont déficitaires financièrement. Les Jeux d’été ont la proportion la plus faible d’événements avec un déficit : 10 sur 13, soit 77%. Pour la Coupe du Monde, en revanche, tous les événements sauf un (Russie 2018) sont déficitaires, soit 92% de toutes les Coupes du Monde. Ayant adopté une approche prudente pour calculer les coûts, ces pourcentages doivent être appréhendés comme des minorants.

En d’autres termes, ces événements souffrent de ce qui est nommé ‘un déficit structurel’, tout du moins, d’un déficit persistant et systématique, qui par conséquent, ne résulte pas de mauvaises décisions individuelles ou de conditions spécifiques relatives à la qualité de l’hôte. Cette conclusion sur la présence systématique de déficits, ce que nous appelons ‘déficit structurel’ , est importante pour deux raisons. D’un point de vue théorique, cela montre que les déficits sont persistants et par conséquent ne sont pas le résultat de mauvaises décisions individuelles ou de mauvaises conditions particulières liées à l’accueil de l’événement, tels qu’une économie faible, une corruption élevée, des manifestations ou autres. Nos conclusions, par conséquent, appuient les explications théoriques qui prédisent la présence systématique de coûts sous-estimés et de bénéfices surestimés pour les méga-événements. Nous ne sommes pas, cependant, capables d’établir dans quelle mesure chacune des explications contribue individuellement au résultat final, ni de dessiner les mécanismes exacts de chaque situation.

D’un point de vue économique, les résultats montrent que la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques ne sont financièrement pas viables en eux-même. En d’autres termes, le CIO et la FIFA auraient fait faillite depuis longtemps, s’ils devaient assumer les coûts directs de leurs événements en fonction des recettes que ces événements génèrent. Si ces événements sont encore tenus de nos jours, c’est parce qu’ils bénéficient de subventions externes à l’événement en lui-même, principalement pour la construction des complexes sportifs. En théorie, ces subventions pourraient venir de sources privées, par exemple des clubs ou des actionnaires qui prévoiraient d’exploiter les stades en faisant des profits. Les recherches indiquent, cependant, que ce sont souvent des subventions publiques, car beaucoup de stades ne sont pas exploitables de façon rentable après l’événement (Alm et al., 2016).

Notre analyse démontre donc que le prix à gagner quand on candidate à ces événements a en fait une valeur financière négative dans la plupart des cas. Ces événements, tels qu’ils sont organisés actuellement, sont incapables d’être autonomes financièrement et s’arrêteraient sans les subventions externes. S’ils génèrent encore des profits de taille pour le CIO et la FIFA, c’est parce que ces corps dirigeants ont sécurisé leur autorité sur les flux de recettes les plus importants avec le temps, en ne prenant en charge qu’une petite partie des coûts. Nos résultats, cependant, exhorte à reconsidérer la place du CIO et de la FIFA dans les négociations pour l’attribution des événements, puisqu’ils ne permettent pas de conclure un marché lucratif mais demandent des subventions pour une entreprise déficitaire.

Pour les villes et les pays, notre étude fournit une source d’information complète pour deux des principaux types de coûts auxquels ils s’exposent : les coûts d’organisation et les coûts des complexes sportifs. Elle démontre également que des coûts des complexes sportifs peu élevés sont essentiels pour que l’événement soit rentable. Ainsi, parmi les six événements qui ont été rentables, tous sauf un (Russie 2018) ont eu des coûts des complexes sportifs bien en deçà de la moyenne. Il est par conséquent primordial pour les futurs hôtes de ré-utiliser au maximum les complexes sportifs existants, s’ils veulent réduire le risque financier inhérent à cet événement. Enfin, si les villes souhaitent avant tout attirer des visiteurs en organisant ces événements, nous avons démontré que les Jeux d’été et la Coupe du Monde sont plus rentables par entrée que les Jeux d’hiver.

Sur une note plus positive, le retour sur investissement de ces événements est de moins en moins pire pour les dernières éditions. Ajouté à une démarche ferme de réduction des coûts (IOC 2014), cela donne une raison prudente d’espérer que les méga-événements puissent enregistrer, à terme, des comptes au moins équilibrés. Toutefois, les villes et les pays hôtes ont un rôle à jouer dans la réalisation de cet exercice excédentaire, en exerçant une pression dans les négociations pour obtenir un partage plus équitable des recettes et des risques. Bien que le CIO et la FIFA exigent le fair-play sur le terrain, ils ne paraissent pas inquiets du fait que dans la compétition actuelle des méga-événements, les dés soient pipés en leur faveur.

Pour une meilleure compréhension des facteurs qui sont en jeu dans la réalisation de recettes, des analyses de régression des coûts et des pertes et profits pour identifier les indicateurs seraient la prochaine étape la plus utile. Est-ce que certains systèmes économiques ou politiques sont plus à même d’entraîner des coûts et des déficits élevés que d’autres ? (Nous voyons que, dans notre échantillon, quatre événements rentables sur cinq ont eu lieu en Amérique du Nord et en Australie). Est-ce que la richesse du pays ou de la ville hôte, ou leur taille, jouent un rôle ? Est-ce que le niveau de développement des complexes sportifs de l’hôte a une influence sur les coûts ? Est-ce que la corruption ou la transparence influencent les résultats ? Étant donné que les explications théoriques avancées ici ne prennent pas en compte le contexte économique, politique et social des hôtes de l’événement, la réponse à ces questions nous amènerait à une compréhension plus conceptuelle et plus nuancée des circonstances sous-jacentes de la réalisation des pertes et profits pour mieux les gérer.

Remerciements

Ce travail a été accompli grâce au soutien de la Swiss National Science Foundation (SNSF) [grant no. PP00P1_172891]. Il se base sur une base de données complète des méga-événements, qui est en libre accès (voir Müller et al., 2021 pour les détails). Nous encourageons tous ceux qui souhaiteraient utiliser cette base de données ou qui seraient en capacité de fournir les données manquantes à prendre contact avec nous.

Déclaration des conflits d’intérêt

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt potentiel relatifs à cette étude, les droits d’auteur, et/ou la publication de cet article.

Financement

Les auteurs ont accusé réception du support financier suivant pour les recherches, les droits d’auteur, et/ou la publication de cet article : Ce travail a été financé par la Schweizerischer Nationalfonds zur Förderung der Wissenschaftlichen Forschung (grant no. PP00P1_172891).

ORCID iD

Martin Müller