Pour les JO, Macron renonce a taxer même un peu AIRBNB (Mediapart)

19 octobre 2023

« Je suis très en colère. » Alors que l’examen des amendements sur les meublés de tourisme – type Airbnb – se poursuivait en commission des finances, jeudi 12 octobre, le député socialiste basque Iñaki Echaniz, qui enrageait, a préféré quitter la salle.

L’amendement transpartisan qu’il portait – signé par La France insoumise (LFI), le PS et Renaissance – et qui visait à limiter les abus de la niche fiscale Airbnb dans le projet de loi de finances 2024 a été rejeté, le groupe Renaissance s’étant finalement fracturé, une partie préférant voter contre avec Les Républicains (LR) et Horizon.

Fruit d’un compromis, l’amendement proposait un alignement de la fiscalité des locations meublées de tourisme sur celle des locations de longue durée. Rien d’ébouriffant.

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Dans le quartier populaire du Panier à Marseille, se multiplient les tags hostiles à Airbnb. © Photo Patrick Batard / Hans Lucas via AFP

Aujourd’hui, les meublés de tourisme peuvent bénéficier d’un abattement allant jusqu’à 71 % (avec un plafond de 188 000 euros). Un énorme effet d’aubaine qui a contribué à doper ce type de locations qui assèchent le marché locatif classique.  

Au terme de longues discussions – car la niche Airbnb comporte en réalité bien d’autres avantages –, les différents groupes étaient parvenus à un compromis en proposant un alignement de tous les régimes fiscaux, avec un abattement de 40 %, pour un plafond de 30 000 euros.

Le groupe Renaissance, par la voix de la députée du Finistère Annaïg Le Meur, avait lui-même déposé l’amendement. Le nouveau ministre du logement Patrice Vergriete n’avait-il pas été clair dans un entretien donné au Monde lundi ? « Les locations saisonnières sont un vrai problème sur certains territoires. Je propose donc de ne plus les favoriser et d’aligner la fiscalité des meublés touristiques, des meublés traditionnels et des locations vides, avec un même abattement de 40 %. »

Après plus d’un an de tergiversations sur le sujet, un certain consensus pour revoir, au moins au minimum, cette niche avait donc émergé.

Les Jeux olympiques en ligne de mire

« On aurait aimé aller plus loin, mais il faut avancer pas à pas », reconnaissait la veille de l’examen en commission le député Iñaki Echaniz. « C’est mieux que rien et c’est pour cela que nous le voterons », expliquait de son côté William Martinet, le député LFI qui défendait une réforme beaucoup plus ambitieuse de cette niche fiscale.

Jeudi 12 octobre, coup de théâtre : après un avis défavorable du rapporteur général du budget Jean-René Cazeneuve, l’amendement est finalement rejeté.

« Attention à ne pas donner un coup de balancier trop important qui nuirait à l’activité touristique », a rapidement argumenté le député du Gers. « Les modifications que proposent ces amendements sont d’une grande soudaineté et peuvent créer un choc. Vous modifiez la fiscalité pour des millions de propriétaires du jour au lendemain », a avancé ce pilier de la Macronie, avant de s’alarmer d’une réforme d’« une grande brutalité ».

Ils n’ont parlé que du million de propriétaires et pas des millions de locataires qui n’arrivent pas à se loger.

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Au moment du vote, le groupe Renaissance s’est fracturé. Sous l’impulsion du député Mathieu Lefèvre (Val-de-Marne) qui a brandi l’argument des prochains Jeux olympiques – dont Airbnb est l’un des partenaires officiels – pour ne pas attaquer l’offre touristique, une partie des députés de la majorité présidentielle a donc rejeté l’amendement transpartisan.

« Ils n’ont parlé que du million de propriétaires qui allait être impacté fiscalement et pas des millions de locataires qui n’arrivent pas à se loger », s’étrangle Iñaki Echaniz.

Depuis le retrait de la proposition de loi transpartisane – sans explication – avant l’été, on savait le sujet extrêmement sensible pour le gouvernement, qui promet une régulation depuis plus d’un an sans jamais avancer.

« C’est Bercy qui a gagné contre le ministère du logement », analyse la députée PS Christine Pirès-Beaune, qui rappelle combien le ministère de Bruno Le Maire freine des quatre fers contre tout encadrement d’Airbnb. « Comme il sait qu’il a perdu la bataille culturelle sur le sujet, le gouvernement est dans une stratégie d’enlisement. Maintenant, il nous renvoie à une future loi logement au printemps », s’agace de son côté l’Insoumis William Martinet.

L’ironie de l’histoire est que les gros investisseurs, qui sont arrivés sur le marché de la location touristique ces dernières années, attirés par une fiscalité hors norme, n’auraient de toutes les façons pas, ou quasiment pas été impactés. Et ne le seront pas plus demain.

Les investisseurs qui ont acheté des immeubles entiers pour faire de la location saisonnière savent déjà comment tirer leur épingle du jeu.

Les gros investisseurs échappent à l’impôt

« Pour eux, rien ne va changer », nous précisait en amont des débats en commission un fiscaliste spécialiste de l’immobilier. Les amendements au projet de loi des finances connus, les sites de conseils en placement immobilier ont tenu à rassurer leurs clients : pas de panique, le régime le plus avantageux pour les gros investisseurs ne sera pas touché.

En effet, pour déclarer aux impôts ses revenus tirés d’une location touristique de courte durée, le propriétaire peut choisir le régime dit « micro-BIC » (bénéfices industriels et commerciaux) ou le régime réel.

Pour les loueurs occasionnels, le régime le plus simple est le micro-BIC, qui permet un abattement pour frais de 50 % sur ses recettes, et s’il font classer leur logement – une certaine qualité du bien en location est garantie –, l’abattement peut aller jusqu’à 71 %.

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L’autre option est de se déclarer au régime réel. Cela impose certaines contraintes administratives et a donc un petit coût d’entrée, mais le jeu en vaut la chandelle puisque l’investisseur peut aboutir à une exonération totale de ses gains.

Le mécanisme est assez simple. Le régime réel s’applique dès que les loyers perçus dépassent 77 700 euros par an, mais il peut être accordé lors de l’immatriculation du bien.

Et là, c’est le bingo. Tous les frais de mise en location peuvent être déduits : conciergerie, frais de ménage, frais de comptabilité. Le propriétaire peut même déduire ses intérêts d’emprunt et la perte de valeur de son bien avec le temps.

In fine, en chargeant bien la barque, un propriétaire peut aboutir à des charges telles qu’il est totalement exonéré d’impôts sur ses gains.

En commission, jeudi, le rapporteur général Jean-René Cazeneuve a simplement fait supprimer dans ce régime extravagant le fait que les plus-values en cas de cession ne tenaient pas compte des amortissements déduits.  

La position du gouvernement incompréhensible

Alors que se profilait un encadrement du régime micro-BIC via l’amendement transpartisan, les sites d’expertise en placement immobilier rappelaient à leurs clients qu’il était toujours temps de basculer sur ce régime réel. « Si vous nous lisez régulièrement, vous savez que le meilleur moyen d’optimiser vos revenus locatifs, c’est de choisir le régime réel »,indiquait il y a quelques jours le site Amarris Immo, qui précisait : « Et de ce point de vue, pas de changement à l’horizon… »

Pour le militant breton Franck Rolland, porte-parole du Collectif national des habitants permanents (CNHP), la position du gouvernement est « incompréhensible ». « Comment expliquer ce type de cadeau au moment où l’État a besoin d’argent, notamment pour aider à résoudre la crise du logement ? Les multi-propriétaires qui ont une activité commerciale vont continuer comme avant. Ce sont encore une fois les spéculateurs qui s’en sortent. »

Le projet de loi de finances arrivera dans l’hémicycle à partir du 17 octobre et les députés Renaissance contactés ont assuré qu’ils représenteraient l’amendement transpartisan, qui ne changera, on l’a compris, que bien peu de choses.